Le retour d'un géant

Quasiment un an qu'elle n'était pas sortie de chez elle...
A peu près autant qu'elle n'avait parlé ni écrit à personne, à quelques rares exceptions près. Des obligations, des cas de conscience la plupart du temps.
A peu près autant qu'elle n'avait pas eu de nouvelles de lui. Qu'elle n'en avait pas données, ni demandées. D'abord, parce qu'elle restait cloîtrée chez elle, essayant de combattre ce qu'elle pensait une maladie. Ensuite, parce qu'elle était trop fatiguée pour prendre la plume, Après encore, parce qu'elle avait trop eu peur. Peur d'apprendre qu'il était passé à autre chose, peur de lui avouer son état, peur de le laisser partir, peur qu'il s'en aille. Mieux valait le silence du doute, que le silence du vide.

Encore plus longtemps qu'elle était apathique, qu'elle perdait du poids. Qu'elle n'avait plus goût à rien. Qu'elle ne s'investissait plus. Qu'elle gardait un sourire de façade. Qu'elle s'impliquait à reculons. Des déceptions. Des frustrations. Des pertes. Je t'aime, mélancolie.

Quelques semaines seulement, qu'elle pensait à ressortir le bout de son nez. Gestes lents, réfléchis, tournés et retournés dans sa tête, inspectés sous toutes les coutures. Premiers contacts. Premières sorties, seule dans son Domaine d'abord, puis plus loin, jusqu'à Blois, en s'efforçant de ne croiser personne. Peur du regard des autres. Honte de montrer ce qu'elle était devenue.

Quelques jours qu'une missive lui était parvenue, semblant ramener un peu de sang dans ce corps quasi sans vie. Comme un souffle qu'elle avait retenu trop longtemps. Une nouvelle fois, il arrivait à la faire bouger. Une nouvelle fois, pour lui, elle était prête à faire l'effort.



Quand on vint la prévenir qu'il était arrivé, elle n'hésita pas longtemps avant de descendre. Nul besoin de fards et d'artifices, il y avait bien trop à cacher pour que ce soit efficace, et elle n'avait pas envie de lui mentir. Une simple cote, qui autrefois avait été ajustée, mais pendait maintenant lamentablement sur son corps, la richesse du tissu ne parvenant pas à occulter sa maigreur ; et un ample châle dans lequel elle était en permanence enroulée, autant pour cacher les ravages de la mélancolie, que pour se réchauffer, elle qui avait maintenant toujours froid.

Parvenue à l'entrée de la grand'salle, elle marqua un temps d'arrêt pour l'admirer tandis qu'il lui tournait le dos. Une stature toujours aussi grande, impressionnante, réconfortante. Que, elle le réalisait encore plus vivement désormais qu'elle l'avait sous les yeux, elle avait craint de ne plus jamais voir. Mais si elle appréciait la vue, pas sûre qu'il en serait de même pour lui...
Et sa voix était loin d'être assurée quand elle s'avança et leva vers lui ses azurs, cherchant son regard quand il se retournerait, et redoutant ce qu'elle y verrait.

Bonjour, Eddard...

Les sourcils d'Elisel se haussèrent quand Eddard dévoila son visage en se retournant. Un cache-oeil ? Qu'avait-il encore fait pour récolter cette décoration ? Et pourquoi n'en avait-il rien dit ? Depuis quand ?
Divers sentiments défilèrent sur son visage, avant qu'elle ne laisse finalement apparaître un sourire triste, en réponse au sien. Elle n'était pas la seule à avoir changé semblait-il. Et elle était amusée de constater qu'il arrivait encore à la faire réagir aussi vivement qu'avant, et en un instant lui faire oublier son propre état. Qu'avait-il bien pu vivre, loin d'elle ?

Sans un mot, elle se contenta de le regarder s'approcher, fermant les yeux et se laissant aller avec délice dans ce baiser de retrouvailles, ses mains décharnées agrippées à son manteau noir pour ne plus le laisser repartir. Se remettre à vivre ? Peut-être avait-elle arrêté à un moment, oui, ou du moins ralenti. Une mise en hibernation nécessaire. Mais il semblait désormais faire assez chaud pour qu'elle ressorte le bout de son nez.
Elle reprit sa respiration, joue contre la poitrine du géant, profitant de sa chaleur, avant d'ouvrir une de ses serres et de la monter vers le visage aimé, le caressant lentement, effleurant ses contours, s'attardant un instant sur le nouvel accessoire qui l'ornait, comme pour graver à nouveau ses traits dans son esprit. Finalement, ses deux bras entourèrent sa nuque pour l'attirer vers elle tout aussi doucement qu'avant, tandis qu'elle lâchait un souffle suppliant.

Faites-moi revivre alors, s'il-vous-plaît.

Il serait bien temps plus tard de discuter, ils n'étaient plus à quelques heures près pour se raconter leurs histoires.
Pour le moment, elle avait besoin de se rassurer, de confirmer que tout ceci était bien réel, et non le fruit de l'une de ses nombreuses divagations. Elle n'avait vu nulle pitié dans son regard, mais pourrait-il passer outre le reste, pourrait-elle même supporter de se dévoiler ?

Instant de délicatesse hors du temps, qu'Elisel essaya d'apprécier du mieux qu'elle pouvait. Que pensait-il, en sentant si peu de chair sous sa main ? Elle qui s'était toujours sentie petite par rapport à lui, se trouvait encore plus ridicule désormais.
Elle avait osé, dans un sursaut d'effronterie, ce qui lui semblait une invitation assez claire et immédiate, mais il n'y répondait pas. Ou du moins, pas avec l'engouement qu'elle aurait espéré. Mais finalement, n'était-ce pas logique ? Comment avait-elle pu penser être encore assez attirante pour ça ? Acceptation ne voulait pas dire faire comme si de rien.

Mortifiée, elle n'osa pas relever la tête quand il desserra l'étreinte, restant agrippée, tête contre son torse pour ne pas le regarder. Ce n'est que quand les mots atteignirent ses oreilles qu'elle risqua un oeil vers le haut.
Se détachant progressivement pour reprendre contenance sans rien laisser paraître, elle finit par répondre, d'un de ses sourires encore faibles.

Vaste programme. Mais vous ne deviez pas repartir en voyage ?
Enfin, si vous me faites l'honneur de votre présence pour un peu de temps, je serais bien folle de refuser.

Venez, je vous montre...

Elle prit sa grande pogne dans une de ses serres, et s'agrippa ensuite à son bras pour l'escorter hors de la grand'salle, et monter les escaliers qui menaient aux chambres.