Elle n'avait pas souvenir d'avoir assisté à pareil mariage. Oh, de ses années d'enfance, elle avait bien conservé quelques souvenirs de cérémonies qui portaient le même nom, mais jamais l'officiant n'avait ainsi abordé le problème, avec un humour qui permettait de véhiculer les messages les plus sérieux qui soient. L'amour... Vaste problème, éternelle quête de l'homme, source de tant de soucis et de tant de joies. Un problème que Sindanarie aurait volontiers évacué de sa vie. Le souci, c'est que l'on ne peut pas toujours faire ce que l'on souhaite. Qu'on ne peut pas toujours réfréner les sentiments. On peut les nier, on peut les minimiser, mais pas les tuer. Elle s'en était douloureusement rendu compte et, bien malgré elle, elle avait l'impression que cela lui revenait. Que le coeur qu'elle s'était obstinée à endormir après la mort de son Lieutenant s'était réveillé, bien malgré elle.
Et assister à cette cérémonie lui avait rappelé mille et mille souvenirs. Des espérances, aussi. Et ses pensées s'étaient envolées vers un homme, bien vivant, lui, pas l'une de ces ombres qui peuplaient ses nuits d'insomnie, qui heureusement se faisaient de plus en plus rares. Il était Bourguignon. Il était bien plus âgé qu'elle. Mais elle se reconnaissait en lui, curieusement, d'une manière qu'elle n'arrivait pas à expliquer. C'était pour ça qu'elle s'était battue contre lui, et pour mieux le connaitre. C'était pour ça ausis qu'elle répondait à ses lettres, qu'elle lui avait indiqué comment se rendre à Viam. C'était pour ça qu'elle avait été ravie, transportée, quand il était venu lui rendre visite, par miracle un jour où elle devait retourner au domaine.
Assister à cette cérémonie hors du commun avait éveillé bien des pensées dans l'esprit de la jeune femme. "Tu réfléchis trop", lui répétais Elric quand elle était jeune. "Mets-toi dans le crâne qu'agir suffit parfois." C'était pour ça qu'elle s'était avancée pour communier, avant de reprendre sa place vers le fond de la chapelle. Et qu'elle avait assisté sans mot dire, le sourire aux lèvres, aux serments échangés par les mariés. La mariée, d'ailleurs, ne cessa de lui prouver qu'elle avait bien quelque chose de particulier. Elle avait de la répartie, de la présence d'esprit, même dans cette circonstance ô combien particulière. Oui, décidément, elle était ravie d'être venue.
Aussi, quand Ninouchka invita les présents à les suivre, elle et son époux, jusqu'aux salles où aurait lieu la réception qui devait suivre, Sindanarie se mit dans ses pas, à quelque distance. Elle ne resterait probablement pas longtemps. Sans doute juste le temps de lui donner la petite sacoche de cuir.